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Du permis de priver à la liberté

Avertissement et plan

II Le permis de permettre

Troc, don, succession

Nous avons vu que le droit de priver est un pouvoir accordé par l'État. Il se trouve que l'État peut aller encore plus loin dans ce sens en déléguant également le droit d'accorder ce droit-même ! En plus du droit de priver, il peut m'accorder le droit de transférer à qui bon me semble mes droits de priver. C'est-à-dire qu'au lieu d'attribuer lui-même les droits de priver, il laisse à chacun des propriétaires, décider seul de ses successeurs.

Ainsi, deux personnes peuvent « échanger des biens », c'est-à-dire des droits de priver.
C'est ce que l'on appelle le troc.

Un propriétaire peut transférer un droit de priver sans contrepartie, on parle alors de don. Le concept de don est cependant plus général. En régime non privatiste, par exemple, il est toujours possible de donner de son temps, de son énergie pour aider autrui ou faire avancer une cause généreuse. Le régime privatiste a plutôt tendance à limiter le don, quelle que soit sa forme.

Le propriétaire peut également programmer à qui reviendront chacun de ses pouvoirs après sa mort, c'est ce que l'on appelle la succession ou l'héritage.

Lorsqu'un État autorise ces transferts souverains de pouvoirs (les permis de priver), il ne lui est plus possible d'assurer l'équité dans la répartition des biens qui serait nécessaire, en régime privatiste, pour garantir à chacun le droit de vivre... La répartition des biens lui échappe.
Nous allons voir qu'en pratique, cette autorisation débouche sur l'apparition et l'aggravation d'inégalités dans la répartition des biens.

Monnaie, vente, location

Pour favoriser ces transferts, un État peut également instituer une monnaie. Une monnaie est une unité de mesure de « valeur », facilitant les échanges de permis de priver. Une certaine quantité de monnaie peut être possédée (comme n'importe quel bien), et permet ainsi d'acquérir d'autres biens en étant échangée contre eux. De tels échanges étant plus facilement équitables, ils se font plus fréquemment.

Un échange contre monnaie est appelé une vente, la quantité de monnaie correspondante étant appelé prix du bien (pour la transaction considérée). Une telle transaction peut encore être appelée achat. Celui qui cède le bien est appelé vendeur, et celui qui cède de la monnaie est appelé acheteur.

Un prêt contre monnaie est appelé location. Le prix de celle-ci est généralement proportionnel à sa durée.
Il peut même être possible de louer de la monnaie (on dit aussi : prêter avec intérêt) !

En pratique, il est difficile à un État de grande dimension d'empêcher ces transferts. C'est pourquoi, généralement, la propriété privée implique non seulement le droit de priver mais aussi celui de donner, prêter, troquer, vendre et louer.

Capitalisme

Le droit de location fait que chaque bien est, potentiellement, un moyen de production : il permet au propriétaire d'accroitre sa quantité de possessions, indépendamment de son travail. En effet, le revenu de location est proportionnel au temps de celle-ci (potentiellement infini), et non à la valeur du bien (qui est finie). Il est donc indépendant du travail réellement effectué par le loueur (pour acquérir ou produire le bien). C'est ce que l'on appelle le profit.
Certains biens permettent, par nature, de produire d'autres biens (machines, terres...) Ils peuvent donc, à ce titre, être des sources directes de profit.

Un capitalisme est une économie autorisant la location individuelle, et donc le profit.
Le mot « capitalisme » vient de « tête » (capita), conformément au fait que la tête, représentant les possessions « moyen de production » (appelés également capitaux), permet d'obtenir toujours plus de biens (les revenus ou intérêts), tout comme la tête du vers solitaire, par exemple, qui tant qu'elle est présente dans l'intestin permet au ver de croître en produisant de nouveaux anneaux (organes reproducteurs).

L'ensemble des possessions d'une personne est appelée sa richesse. L'acquisition de nouveaux biens, qui est « augmentation de capital » est qualifiée d'enrichissement.
Cette terminologie peut être un peu trompeuse, puisqu'il existe d'autres formes de richesses et d'enrichissements...

En pratique, toute économie fondée sur la propriété privée tend à être un capitalisme, puisque l'interdiction seulement de la location ou du don serait difficile à mettre en œuvre et que la distinction entre ce qui est moyen de production et ce qui ne l'est pas n'est pas toujours évidente.

Inégalités

Une telle économie se traduit en pratique par un accroissement inexorable des inégalités. On constate en effet qu'en partant d'une situation où tout le monde possèderait la même quantité de biens en valeur, 20% de la population finit rapidement par posséder 80% des richesses (loi de Paréto).
On constate que persiste la misère (de nombreuses personnes ont du mal à survivre), malgré la possibilité objective (compte tenu de la quantité de biens effectivement produits) pour tout le monde de vivre décemment.
Ce constat expérimental n'est guère étonnant d'un point de vue logique, puisqu'en régime capitaliste, plus on possède de choses, plus il est facile de s'enrichir.

Même sans qu'il y ait location, le droit de transfert individuel, y compris sous forme de don, favorise également un tel accroissement. En particulier, l'héritage aboutit naturellement à une forte concentration des richesses au sein de certaines familles. C'est ce que l'on appelle parfois la formation de classes sociales.
Il arrive même que certains États restreignent la liberté de transférer ses droits après sa mort de façon à ce qu'ils demeurent dans la famille du défunt !

Non seulement une telle économie est incompatible avec le droit à l'équité, mais elle s'oppose concrètement à l'équité.

Un système impliquant des disparités de pouvoir importantes est appelé oligarchie, ce qui signifie étymologiquement le pouvoir (arkhê) à peu (oligos) de gens.
Le capitalisme débouche donc en pratique sur une oligarchie, parfois appelée ploutocratie (de ploutos : richesse).

Salaires

Signalons également, en régime capitaliste, le salariat (au sens large) qui est l'échange de monnaie contre un certain temps de travail. C'est en quelque sorte une location de son temps de travail, le revenu correspondant est appelé « salaire ».

Vu que le temps de travail est la seule chose que chacun est assuré de posséder, à condition toutefois d'être en bonne santé, le salariat est souvent la seule façon d'avoir de quoi survivre pour ceux qui ne disposent pas de suffisamment de droits de priver.
Ceux qui possèdent les « moyens de production » (parfois appelés « capitalistes ») ont une part plus importante dans la détermination des salaires (du fait de ce pouvoir), ce qui tend, là encore, à s'opposer à l'équité. C'est ce que l'on appelle parfois l'exploitation capitaliste.

De plus, rien ne les oblige à rémunérer quiconque souhaite travailler. Ce système permet donc une situation de privation de toute ressource pour ceux qui ne sont pas suffisamment riches et ne trouvent pas de capitalistes pour accepter leur travail. C'est ce que l'on appelle le chômage.

Cupidité et compétition

On comprendra sans mal que dans un tel système, chacun est fortement tenté d'accroître sa « richesse » (ne serait-ce que pour s'assurer une certaine sécurité).
En outre, le système de la monnaie permet généralement une accumulation illimitée et difficilement contrôlable des biens entre certaines mains. Surtout, il focalise chacun sur la valeur de sa richesse. Celle-ci tend à devenir un but en soi, puisque la monnaie permet de faire énormément de choses. Cette économie entraîne donc un certain état d'esprit, une certaine obsession pour sa richesse personnelle, la cupidité.

Il en résulte une compétition particulièrement vive et généralisée entre les individus.
Cette compétition entraîne de nombreux conflits, appelés conflits d'intérêts (qu'ils soient entre voisins, entre vendeurs, entre employés, entre frères et sœurs, qu'ils soient « sociaux » ou « internationaux »).
La plupart des États essaient de limiter les formes extrêmes de violence découlant de cette course à la richesse (vol avec effraction, meurtre, trafic de drogue, proxénétisme etc.) en les réprimant plus fortement. Mais en pratique, elles tendent à se maintenir (la répression ne faisant souvent qu'augmenter la violence : meurtres de témoins, par exemple).
Plus modestement, la compétition se traduit par des rapports humains « oppositionnels ». Par exemple, lors d'une vente, chacun tire le prix dans le sens qui augmente sa propre « richesse », opposé à celui de son interlocuteur (c'est ce que l'on appelle une négociation commerciale).

Cette compétition universelle induite par le capitalisme n'a pas grand chose à voir avec la compétition sportive, ou une amicale émulation. Ses enjeux sont trop importants, vitaux. Elle s'apparente plutôt à une guerre de tous contre tous.

Cette économie et la mentalité qu'elle entraîne se renforcent et se justifient l'une l'autre dans une sorte de cercle vicieux.
L'égoïsme n'est pas le fait de penser à soi ou de chercher le plaisir, c'est la négligence des intérêts d'autrui (ou du bien commun). Celle-ci découle naturellement de la cupidité engendrée par le capitalisme. Il est vraisemblable que celle-ci perdurerait un moment chez certains si l'on supprimait brutalement ce cadre économique. Cela ne signifie pas pour autant qu'une telle mentalité soit inhérente à l'homme.

Société de consommation

Consommer un bien c'est l'utiliser d'une façon destructive. Par exemple, manger une pomme.

La tentation (ou la nécessité) de s'enrichir incite chacun à vendre plus de biens, et donc, à faire consommer plus. Pour ce faire, on peut recourir à la publicité (communication d'influence), laquelle entraîne toujours plus de consommation, indirectement (par l'augmentation des ventes induite) et directement (affichage, emballage etc.).
L'augmentation de consommation induite par le capitalisme résulte également du fait que les produits ne sont pas conçus pour durer mais au contraire pour être renouvelés rapidement (et permettre ainsi, plus de ventes). Elle résulte aussi du défaut de coopération résultant de la compétition, ainsi que des dépenses occasionnées par les conséquences de cette compétition (santé, justice, police...)

Sous l'effet conjugué de la publicité et de l'obsession de la valeur monétaire évoquée plus haut, la volonté de s'enrichir s'accompagne généralement de celle de consommer. Celle-ci devient pratiquement la seule raison de vivre des personnes victimes du capitalisme. On consomme toujours plus sans être complètement satisfait au lieu de tirer un meilleur parti de ce qui nous est donné. La liberté est ainsi réduite non pas par diminution des possibilités matérielles, mais par augmentation de la dépendance à sa situation matérielle : on a « besoin » de toujours plus de choses.
On parle alors d'une société de consommation.

La vie de chacun se trouve ainsi coupée en deux. Il souffre pour s'enrichir (en tant que salarié ou travailleur indépendant), étant alors aux ordres de ses clients ou de son employeur, ceci afin de pouvoir ensuite jouir de ce dont il souhaite (en tant que consommateur-client).
Il s'ensuit des rapports humains de type hiérarchique (on travaille au service d'autrui, indépendamment de l'intérêt de la chose que l'on fait), et une certaine violence : le ressentiment accumulé d'un côté étant parfois déversé de l'autre, sur autrui, qui à son tour...
Chacun est tour à tour maître et esclave, plutôt que coopérateur.

La valeur monétaire devient la mesure de toutes choses. On finit par y voir un élément du bonheur. Or, en réalité, au-delà de quelques besoins fondamentaux dont le coût est minime, le bonheur ne dépend que d'une disposition intérieure, que l'on peut appeler sagesse*. Aveuglés par la cupidité ou abrutis par le travail, certains peuvent aller jusqu'à perdre leur vie à la « gagner » ! En langage capitaliste « gagner sa vie » signifie travailler à l'obtention de droits de priver. Lorsqu'on utilise ceux-ci pour consommer, on dit également que l'on « élève son niveau de vie » (le niveau de vie désignant le confort matériel).

Écologie

Il résulte de ce processus un accroissement incessant du prélèvement opéré dans les ressources naturelles. Le taux de renouvellement de celles-ci est limité, de sorte qu'il arrive forcément un moment où l'équilibre est rompu. Il s'ensuit d'importantes destructions du milieu et une pénurie de ressources.
Cette course à la consommation se traduit également par une pollution de l'environnement altérant la santé de tout le monde.
Le souci de préserver ce milieu est ce que nous appelons l'écologie. Ce terme désigne, à l'origine, la partie de la biologie étudiant les relations entre un être vivant et son milieu de vie (dont, en particulier, les autres êtres vivants). C'est, étymologiquement, l'étude de la « maison ».

Le droit de priver et de transférer ce droit induit donc, en pratique, un accroissement de la compétition, des conflits, des injustices, de la pollution et la destruction des ressources nécessaires à la survie de l'espèce.
Un tel système ne peut donc perdurer éternellement, et finit par avoir des conséquences désastreuses.

Suite : III Politique

* Voir par exemple les travaux récents de Mihaly Csikszentmihalyi. Ceci en confirmation d'une intuition qui remonte à l'antiquité (particulièrement illustrée dans le stoïcisme, mais aussi par la spiritualité en général).

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