Enjeu important en effet : le prioritarisme - entendons-nous bien "la priorité donnée à l'allègement des souffrances les plus intenses (et non aux autres souffrances non 'intenses')" - peut-il fonder un projet de société ? est-ce une éthique suffisante pour réguler tous les choix de société sur la planète ?
Personnellement il me semble que oui, et c'est la raison pour laquelle le prioritarisme m'intéresse, parce que cette éthique peut être suffisante comme point d'entrée de toute plateforme politique des acteurs "progressistes".
En effet, cette éthique fixe un principe de priorisation mais laisse à la collectivité, par un choix démocratique par exemple (ou par décision dictatoriale !), le soin de fixer les pondérations, les préférences.
C'est la collectivité, et non une éthique théorique, qui a la responsabilité de fixer le seuil, qui lui est propre et contextuel, pour distinguer les souffrances à traiter prioritairement, des souffrances les moins intenses qu'elle peut même décider de ne pas alléger du tout afin de conserver toutes ses ressources pour développer le plaisir ou d'autres valeurs. Elle fixera ce seuil en fonction du contexte culturel historique, par exemple en fonction des ressources plus ou moins grande dont elle dispose pour lutter contre la souffrance (moins elle pourra financer sa sécu, plus le seuil de l'intensité s'élèvera).
Après cette fixation du seuil des souffrances "les plus intenses" (qui peut varier de jour en jour), c'est encore la collectivité qui, selon sa culture du moment va déterminer les autres valeurs qui l'intéressent (après avoir satisfait à sa priorité sur les souffrances les plus intenses) et aussi la pondération entre toutes ces valeurs. Par exemple, si cette collectivité comporte une forte culture pro-life, elle donnera un poids important à la "bio"-diversité, mais sans remettre en cause la priorité donnée aux souffrances les plus intenses (elle tolèrera une culture pro-life sans être dans une éthique pro-life de sacralité de la vie).
L'intérêt du prioritarisme est donc de fournir un algorithme de décision qui permette à une collectivité :
ET d'établir un seuil où elle cesse de donner la priorité à la souffrance (la bien-connue piqure d'épingle ! aucune société n'est prête à sacrifier les vacances au ski de X millions de personne contre une seule qui va se piquer le doigt si les autres partent au ski...)
ET de laisser la porte ouverte à toute l'écologie de valeurs possibles et imaginables une fois remplie sa priorité sur la souffrance.
Au delà du réalisme pratique de cette éthique, l'important est qu'elle donne une solution théorique à tous les choix de société imaginables. Elle rend possible en théorie de fonder en pratique une CULTURE de non-souffrance. Et la réalité du fonctionnement des sociétés est que c'est la culture qui fera le véritable travail de choix collectif, et non un algorithme théorique.
Pour résumer, l'éthique prioritariste donne un cap culturel très clair à une collectivité (la non-souffrance), pour le reste chaque collectivité est libre de choisir l'écologie précise de valeurs qui compte pour elle, à chaque moment de son histoire. En quelque sorte le prioritarisme est une main de fer dans un gant de velours !
Elle est davantage fédératrice qu'une éthique de type eudémoniste, de type le plus grand bonheur pour le plus grand nombre.
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