Pour contrecarrer l’instinct punitif, et accéder facilement à une compassion universelle on peut encore considérer que les problèmes résident non pas dans des personnes, mais seulement dans des comportements.
Ainsi, je pourrai accéder plus facilement à la compassion pour celui qui m'agresse, car son comportement punitif est la conséquence immédiate d’une certaine souffrance… En observant les mécanismes en jeu, dans leur globalité, on ne voit plus, en fin de compte, qu’un seul ennemi : la souffrance. Et l’on s’attaque à ce qui y conduit, à commencer par l’instinct punitif.
La mise en cause des personnes est sans doute une des plus grandes calamités humaines. Elle entraîne non seulement le racisme et les génocides, mais aussi notre propre susceptibilité. C’est en effet pour protéger notre personne (qui a souvent été « attaquée »), que nous nous défendons et ne supportons pas les jugements sur nous-mêmes.
Mais qu’est-ce que la personne ? qui suis-je ? Clairement, je ne suis ni mon corps, ni mes pensées, ni mes sentiments. Je suis celui qui les a, qui les produit, qui les choisit à chaque instant, libre d’en changer, de les faire évoluer…
Ce n’est donc jamais la personne que nous devrions critiquer, au contraire… Ce n’est jamais ma personne que je devrais sentir critiquée, mais uniquement mon comportement passé. Pourquoi défendrai-je mon comportement passé, si ce n’est parce que je l’amalgame, à tort, avec ma personne ?
La critique de mon comportement (nécessairement passé) ne peut que m’aider à évoluer dans le sens que je souhaite, aider… ma personne.
Pour limiter la souffrance relationnelle, on pourra donc, en tant qu’émetteur, formuler ses critiques en désignant explicitement la chose concernée (comportement, corps…) et en employant toujours le passé.
« ce que tu as fais là ne me convient pas, parce que… » et bien sûr jamais : « Qu’est-ce que tu es… », « tu fais toujours… »…
En tant que récepteur, on prendra soin de traduire les « Tu es… » par des « Jusqu’à présent, tu te comportes… » et les « Tu fais toujours… » par « Jusqu’ici, pour moi, tu fais trop souvent … », puisque, prises à la lettre, ces affirmations seraient absurdes.
Une source particulièrement fréquente, et paradoxale, de conflits est la peur d’être en faute, ou, plus généralement, d’être désagréable envers autrui. Ce n’est pas le souci d’être agréable qui est le problème, ici, au contraire, mais la souffrance excessive qui est derrière cela.
Si la souffrance est trop forte, au lieu de simplement tirer parti d’une critique sur mon comportement passé pour améliorer celui-ci à l’avenir, je vais fuir, refouler ou attaquer ; rejeter la critique au lieu d’en tirer profit. En particulier, je vais être tenté d’accuser pour éviter d’être en cause. D’où le caractère conflictuel de la critique. D’où une situation où tout le monde rejette la faute sur tout le monde, et où les problèmes demeurent tandis que les conflits abondent.
Mais pourquoi une telle hyper-sensibilité ?
Cela tient tout d’abord à l’amalgame que nous venons de voir autour du concept de personne, de « moi ».
Cela tient également à une autre illusion linguistique, le concept de valeur : à l’idée qu’il y aurait des choses, et en particulier des personnes, qui auraient une valeur en elles-mêmes. Or, a priori, une chose n’a de valeur que pour une personne donnée, qui apprécie la chose. Avoir de la valeur en soi signifie quelque part : « avoir de la valeur pour tout le monde » ou, du moins, que si la chose n’est pas appréciée d’une personne, cette dernière a « tort » ou perçoit mal ; un peu comme quelqu’un qui ne verrait pas qu’une fleur est jaune... Le caractère « jaune » est objectif car strictement sensoriel, pas le caractère « valeureux »… Par conséquent, « avoir de la valeur » est vécu comme crucial, hautement désirable, et ne pas en avoir, catastrophique. Tout ceci étant, bien sûr, plus ou moins inconscient.
On résout généralement cela, par un acte de foi : on se dit à soi-même qu’on en a (de la valeur) ; on se blinde contre ceux qui nous diraient le contraire. C’est ce que l’on appelle la confiance en soi. Mais ce remède reste superficiel.
La notion de faute a également ce caractère trompeusement absolu. Dans la réalité, on ne nuit jamais qu’à un ensemble de personnes précis, forcément limité. Celui qui est déclaré (ou se croit) « en faute », ou « nuisible », s’imagine l’être pour l’univers entier, ce qui est naturellement intolérable…
Les notions de blâme, de reproche, d’accusation se sont imprégnées de ce parfum d’absolu. Elles supposent également un rapport de supériorité de celui qui blâme, d’où un possible conflit pour le pouvoir…
Dans la bataille pour être irréprochable, qui résulte de tout cela, on comprend que l’on ait tendance à oublier les « causes internes » (évoquées plus haut)…
Une solution radicale pour sortir de cette guerre permanente, consiste à réaliser ces illusions. A cesser de prendre pour des réalités objectives (« j'ai de la valeur, je suis fautif »), ce qui n’est qu’une illusion, la seule réalité sous-jacente étant : « je suis apprécié par..., j'ai provoqué... »)
Cette réalisation ne suffit cependant pas à une élimination immédiate du problème, car il y a là-dessous des réflexes émotionnels, des amalgames fortement ancrés en nous depuis la plus tendre enfance.
Un de ces amalgames consiste à entendre, dans la critique, un rejet. Or, être accepté d’autrui, appartenir à un groupe est un besoin humain fondamental, dont la menace de privation est donc particulièrement douloureuse, surtout pour les plus jeunes…
S’extraire de ce mécanisme prend donc nécessairement un certain temps, mais cela est évidemment très bénéfique pour son propre bonheur… et celui d’autrui ; puisque celui qui cesse d’avoir peur d’être en faute, n’a plus de raison de reporter cette dernière sur autrui.
En rejetant la faute sur autrui, j’entretiens chez lui, la sensibilité à la critique. Une société où chacun rejette la faute sur autrui constitue un cercle vicieux dont il est difficile de s’extraire, à moins d’une prise de conscience certaine conjuguée à une volonté qui ne l’est pas moins...
Saisir chaque occasion qui se présente pour distinguer la personne de ses caractéristiques présentes et passées.
Détecter les exemples où les notions trompeuses de « faute » ou de « valeur » sont utilisées.
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