- Tu m'as dit que vous aviez une solution au problème de la misère dans le monde, des conflits, de la destruction de l'environnement, ce n'est pas rien ! Comment un projet purement politique peut-il avoir pareille prétention ? Ne faudrait-il pas changer radicalement l'économie, par exemple, sans même parler de changer l'homme ?
- Exactement, c'est ce que nous faisons.
- Ah bon ?
- Parce que au sens large, la politique, c'est la façon de prendre des décisions collectives, et l'économie, c'est la façon dont on organise la distribution du travail et de la consommation. Or, organiser le travail et la consommation, n'est-ce pas une décision collective ?
- Mmm, lorsque je vais faire mes courses, ou que je postule pour un emploi, ce n'est pas une décision collective...
- Une décision collective détermine des règles (pour ne pas avoir à discuter tout le temps). Ces règles sont par exemple : on ne peut acquérir des biens qu'avec de l'argent et l'argent qu'avec du travail (je simplifie un peu). Intervenir sur ces règles est une décision collective. Cela relève du politique. On pourrait imaginer d'autres règles. L'économie n'est pas une donnée naturelle comme la météo.
- C'est vrai qu'on a souvent cette impression, quand on regarde les informations boursières ou les informations tout court : tout le monde surveille les chiffres de la croissance, les chiffres de l'emploi. On se prend des crises économiques comme des typhons ou des anticyclones...
- Oui, et il y en a qui parlent de « science économique », comme il y a la biologie, la chimie, la météorologie... Mais tout ça, c'est fondamentalement illusoire. Bien sûr qu'une fois qu'on a fixé quelques règles, il y a des processus spontanés que l'on peut observer ou subir, mais le choix de ces règles, le choix de les modifier ou pas, à chaque instant, est politique. C'est une décision collective que l'on peut prendre ou pas. Ce n'est donc pas une fatalité, comme on te l'a peut-être souvent présenté.
- OK. Et alors, ça donne quoi une « économie ucratique » ? Comment vous gérez la monnaie, par exemple ? Vous intervenez sur les prix, les taux d'intérêt ?
- La monnaie ? Les prix ? Taux d'intérêt ?
- ? Ah ah, parce qu'il n'y a pas de monnaie chez vous ?
- Pourquoi y en aurait-il ?
- C'est vrai que lorsque l'on parle économie, on pense à ce genre de choses, non ?
- Oui, parce que tu as l'habitude d'une économie qui fonctionne ainsi.
- Vous n'utilisez même pas une monnaie locale ?
- Non. Notre système économique est non-monétaire.
- C'est quoi le problème avec l'argent. C'est juste un moyen. On peut l'utiliser pour faire du bien. En plus, ça facilite les échanges.
- C'est plus compliqué que ça. Nous sommes influencés par ce qui nous entoure, par notre façon de vivre. Par exemple, la possibilité d'un pouvoir personnel important favorise le désir pour ce pouvoir. La possession d'argent est un tel pouvoir... Le fait de travailler à la satisfaction d'un désir renforce celui-ci Par conséquent, si on doit travailler pour gagner de l'argent...
Le problème, bien sûr, n'est pas l'argent en lui-même : tel billet de banque, par exemple. Le problème, c'est le système économique correspondant. Celui-ci a des conséquences globales sur l'attitude et le comportement humain. Il induit le désir de gagner de l'argent et la peur d'en perdre, et donc de la compétition, des conflits, des crimes, une certaine négligence pour l'environnement (dont le respect passe après l'enrichissement personnel)... Bref, l'essentiel des problèmes actuels que tu rappelais tout à l'heure.
- Et la morale, vous avez entendu parler ?
- Oui, et l'expérience de nombreux siècles suggère fortement que faire la morale ou propager une philosophie ne suffit pas... Il faut un mode de vie en rapport...
- Oui, mais de là à supprimer l'argent... N'y a-t-il pas d'autres façons d'agir ? On pourrait par exemple, limiter la fortune personnelle, supprimer le prêt avec intérêt, la propriété privée des grands moyens de production etc.
- C'est vrai, mais si on parvient à supprimer l'argent, c'est plus simple, et surtout, ça supprime le désir d'argent. Si un désir n'a plus d'objet, il disparaît. Dans le cas contraire, il perdure.
- Le désir ne va-t-il pas se reporter sur autre chose ?
- Il n'y a pas une loi qui fait qu'une quantité de désir doit se conserver. Plus on est exposé à un désir, plus il se développe, c'est tout. Ensuite, la société ucratique réduit aussi d'autres désirs sources de compétition.
Il faut voir également que si l'on se contentait de limiter les revenus ou les fortunes personnelles, le désir de richesse et le pouvoir de la richesse étant toujours présents, cela induirait un inévitable contournement des lois par les plus riches (on peut corrompre les fonctionnaires)... et/ou une dérive répressive. Ce qui importe est de trouver un système satisfaisant, quelle que soit sa forme.
- Certes, mais c'est déjà pas évident de faire de petites réformes...
- Ça ne prouve rien. Plus on s'éloigne du système problématique auquel on a été habitué, moins les anciens réflexes risquent de se reproduire... De plus, le rafistolage pose souvent plus de problèmes qu'une réfection cohérente et bien pensée.
- En quelque sorte, vous envisagez un changement économique radical, afin de changer l'homme.
- Exactement, d'où ma réponse de tout à l'heure, quand je t'ai dit que c'est ce que nous faisions : changer l'économie et même l'homme ! L'erreur serait d'opposer tout cela au politique. Tout est lié.
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