Une ucratie locale complète étant un groupe de personnes mettant des biens en commun (pour pouvoir expérimenter une autre économie), on peut se poser la question de la structure juridique de ce groupe.
Cette dernière est une notion qui ne concerne que les rapports du groupe avec la juridiction étatique à laquelle il appartient, sur le territoire de laquelle se trouve les bien immobiliers. L’Etat est un pouvoir autoritaire : par sa police, son armée, il impose des contraintes (interdictions ou obligations). Dans l’absolu, rien n’empêche quiconque de faire ce qui lui plait, mais certaines choses pourront entraîner une réaction précise des « forces de l’ordre »…
Dans le cas qui nous concerne, l’Etat n’intervient que si les impôts qu’il demande ne lui sont pas versés ou si on fait appel à lui. Outre la fiscalité, la structure juridique du groupe concerne donc essentiellement la façon dont les litiges entre ses membres seront tranchés par l’Etat (qui obligera à telle ou telle chose).
En ce qui concerne la mise en commun de biens, on distingue deux types de structures juridiques : la société et l’association.
Dans une société, les biens sont « mis en commun », mais chaque « associé » possède une portion de l’ensemble, appelée « part » (ou « action »). A la différence de la propriété privée individuelle, les parts ne correspondent pas à une portion concrète du bien, mais à une fraction de sa valeur. Cette structure est adaptée pour faire du profit personnel (SARL, SA, SCOOP, SCA, SCI, GFA…), chacun ayant la possibilité de reprendre sa part.
Dans une association, il n’y a pas de parts, seulement des apports ou des dons. Le cas échéant, chacun peut reprendre son apport (les modalités étant spécifiées par une clause appropriée), mais rien de plus : pas d’intérêts ou de plus value. Cette structure est conçue pour des initiatives « désintéressées ».
Cette différence n’est pas purement formelle. Envisageons le cas, par exemple, d’un « écovillage » où une structure collective possèderait des biens immobiliers. Des gens s’investissent dans le lieu et lui font prendre de la valeur.
Supposons qu’il s’agisse d’une SCI (le type de société adapté à la possession collective d’immeubles). Si, à un moment quelconque, l’un des apporteurs décide de récupérer sa « part », il peut la faire faire réévaluer par un expert et obliger les autres à lui restituer le montant correspondant, dans un délai de six mois… Dans ce cas, c’est bien la logique spéculative, que l’Etat soutient. Tous ceux qui auront travaillé sur le lieu (surtout s’ils ne possèdent pas eux-mêmes de parts) auront donc travaillé au service d’un particulier ayant fait le choix de la spéculation personnelle.
On peut bien sûr supposer que "tout le monde il est gentil" et que cela ne se produira pas, mais rien ne protège le groupe contre cette éventualité (1).
De plus, lorsqu’un propriétaire meurt, ses parts reviennent à ses héritiers, dont l’esprit risque d’être différent de l’acquéreur initial… La jouissance du lieu n’est pas conditionnée par une éthique, mais un droit du sang. Nous sommes en pleine logique capitaliste.
Supposons maintenant qu’il s’agisse d’une association. Si à un moment quelconque, un des apporteurs décide de récupérer son apport, il peut le faire (tout cela peut être précisé dans une clause adéquate), mais il ne récupère alors que ce qu’il a apporté, quelque soit l’évolution de la valeur du capital de l’association. Tous ceux qui auront travaillé sur le lieu auront donc bien travaillé au service de l’objectif de l’association, puisque l’accroissement de capital reste la propriété de celle-ci… C’est le principe de non-lucrativité : aucun bénéfice ne peut être distribué, pas même à la dissolution de la structure (2).
Une association peut se donner un objectif, de sorte que ses biens restent consacrés à celui-ci …
Ce que nous voulons, avec le projet Ukratio, c’est développer une alternative au capitalisme : des lieux hors de la logique de la propriété privée, consacrés à un mode de vie coopératif et au respect des équilibres écologiques…
Il est donc souhaitable que ces lieux soient la propriété d’une association.
Une association peut parfaitement être propriétaire de biens immobiliers. Il suffit qu’ils soient consacrés directement (3) à son objectif (spécifié dans les statuts).
C’est bien le cas ici : l’objectif d’une ucratie : expérimenter un mode de vie coopératif (ce qui nécessite un lieu !)… ou encore : préserver un lieu…
Une association peut également faire des bénéfices, avoir une activité commerciale etc. Elle pourra alors être imposée en conséquence (impôt sur les bénéfices, TVA, taxe professionnelle etc.)
Ces bénéfices doivent simplement rester propriété de l’association… Ils ne peuvent, normalement, être redistribués sous forme de salaire (4).
Or, précisément, nous ne voulons pas de salariat.
Cette structure juridique convient donc parfaitement à notre projet : elle fait en sorte que l’Etat en garantisse l’esprit et la pérennité.
Une structure de type « sociétaire » le mettrait au contraire en péril !
Tous ceux qui souhaitent s’y investir ou simplement aider (dons, bénévolat etc.) ont ainsi l’assurance que leurs efforts vont durablement dans le sens qui leur convient : le développement d’un rapport harmonieux entre les hommes et avec la nature, grâce à une alternative véritable au modèle capitaliste.
En fait, nous estimons cette structure elle-même insuffisante. Une ucratie doit donc avoir des clauses de non-lucrativité et de démocratie supplémentaires :
Ces derniers points sont nécessaires pour prévenir certaines dérives, contre lesquelles aucune structure juridique ne constitue un rempart suffisant.
(1) Le reste du groupe a juste un droit de préemption en cas de vente de parts, mais il va alors falloir les payer au montant réévalué… s’il ne possède pas l’argent, il va falloir revendre…
(2) La plus-value devra alors être attribuée à une autre association (ou même une personne sans liens particuliers avec les membres).
(3) Sauf fondations et assocations reconnues d’ « utilité publique ». Ce statut ne correspond pas à une utilité publique plus importante qu’une autre, mais à une certaine importance quantitative. L’association doit, par exemple, brasser plus de 45 700 euros par an. Idem pour les fondations qui doivent disposer d’un capital de départ supérieur à 750 000 euros, pour des raisons de « pérennité financière »...
(4) Une association peut néanmoins verser des salaires. D’où une entorse qui nous paraît importante au principe de non lucrativité ! Les dirigeants peuvent même être rémunérés (sous certaines conditions : trois quarts du smic annuel voire plus) sans que la non-lucrativité ne soit remise en cause par le fisc ! (et si elle l’est, cela reste quand même une association !)
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